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Peut-on manger trop peu de sel

Lundi, 5 janvier 2015
Peut-on manger trop peu de sel
Le Dr Gilles Dagenais, cardiologue à l'IUCPQ
L'étude du cardiologue de l'IUCPQ, le Dr Gilles Dagenais, a été identifiée comme une percée scientifique 2014 selon le quotidien Le Soleil (lire l'article ci-dessous, photo Le Soleil). 

Un jour, dans un futur plus ou moins lointain, il se pourrait que l'on entende, dans un cabinet de médecin par ailleurs respectable : «Vous manquez de sodium, ce n'est pas bon pour vos artères. Mangez plus salé.» Ce jour-là, on entendra probablement aussi, dans ce même cabinet, quelque chose comme «Hein?» Mais c'est pourtant bien ce que le médecin aura dit : «Mangez plus salé.»

Ce jour-là, remarquez, est encore bien loin d'arriver, avertit le cardiologue Gilles Dagenais, de l'Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec. Il faudra que d'autres études viennent confirmer ce que lui, son collègue de l'institut Paul Poirier et d'autres chercheurs de 16 autres pays du monde ont trouvé dans une étude publiée dans le prestigieux New England Journal of Medicine, cette année. Mais il semble, d'après leurs résultats, qu'il est bel et bien possible de manger trop peu de sel...

Avec tout ce que l'on entend sur le «chlorure de sodium» (NaCl, le sel de table), qui est toujours plus ou moins diabolisé depuis une vingtaine d'années, ces résultats détonnent. Il est en effet bien établi que le sodium augmente la pression sanguine, avec tout le cortège de risques cardiovasculaires que cela implique.

Bien qu'il y ait plusieurs facteurs à l'oeuvre ici et qu'il en reste à découvrir, souligne le Dr Dagenais, il demeure que ce sont surtout les reins qui ont la tâche de garder un équilibre entre la quantité d'eau et de sels minéraux que nous avons dans le sang, et ils le font grâce à une paroi de cellules qui utilisent un savant dosage de sodium et de potassium pour «aspirer» les excédents de fluides. Lorsqu'il y a trop de sodium dans le sang, cependant, cela empêche les reins de s'acquitter de cette tâche. Ils laissent alors un peu trop de fluides dans le sang, et ce «trop-plein» fait augmenter la pression sanguine, avec les conséquences néfastes que cela implique - durcissement des artères, problèmes cardiaques, etc.

Tout cela, insiste le Dr Dagenais, demeure vrai : il est possible, et même facile, de manger trop de sel. Dans la vaste étude internationale du NEJM que le Dr Poirier et lui ont cosignée, les données le montrent d'ailleurs très bien.

Les auteurs ont en effet mesuré les concentrations de sodium dans l'urine du matin (une assez bonne façon de juger de la consommation de sel) de près de 102 000 personnes, puis ont suivi celles-ci pendant près de 4 ans. Au bout de cette période, environ 3,1 % des personnes ayant une consommation moyenne de sel - entre 3 et 6 grammes de sodium par jour, donc grosso modo entre 7,5 et 15 g/j de sel de table - étaient décédés ou avaient subi un accident cardiovasculaire. Ce risque semblait légèrement plus élevé chez celles qui salaient un peu plus (entre 6 et 7 g/j), et il était clairement plus grand chez les pires «bibittes à sel» (plus de 7 g/j de sodium), par environ 15 %.

Mais, et c'est ici que les choses se corsent, M. Dagenais et ses collègues ont aussi trouvé un risque accru chez ceux qui salent très peu (moins de 3 g/j dans les urines) : pas moins de 27 % de plus de décès et d'accidents cardiovasculaires. Et ce, même si ces gens avaient une pression sanguine un peu moins élevée que les autres.

Comment est-ce possible? Par quel mécanisme est-ce que le manque de sodium peut mener là? Pour l'heure, on l'ignore, dit M. Dagenais. On ne comprend pas encore parfaitement la mécanique par laquelle un surplus de sel augmente la pression sanguine et cause des problèmes. Alors, comme on dispose de beaucoup moins de données sur le manque de sel, le chercheur admet sans ambages qu'«il y a beaucoup de facteurs qu'il reste à éclaircir. Ça se fait dans les reins, mais il peut y avoir des facteurs métaboliques aussi, et peut-être d'autres. C'est probablement relié [aux mêmes équilibres] que pour la haute pression causée par une grande consommation de sel.»

Bref, il semble que la pression sanguine, si elle est nocive lorsqu'elle est trop élevée, sert quand même à quelque chose...

«Il est important de noter que c'est une étude d'observation, ça nous dit : voici une biopsie d'une population à un moment donné. Mais ce n'est pas un essai clinique. Alors ça génère des hypothèses, ça nous donne une bonne idée, mais la façon de prouver un lien, c'est de faire étude randomisée où on compare placebo avec un régime faible en sel».

Potassium

Cela dit, le Dr Dagenais et ses collègues ont également jeté un oeil sur un autre des sels minéraux qui circulent dans notre sang, le potassium. «Et c'est la beauté du système : si on prend plus de potassium, que l'on trouve dans les fruits et légumes, alors on contrecarre les effets du sodium», dit-il.

Comparés à ceux qui excrétaient le moins de potassium dans leurs urines (moins de 1,50 g/j), ceux qui consommaient le plus (3 g/j dans l'urine) étaient, au bout de quatre ans, 22 % moins susceptibles d'être décédés ou d'avoir subi un accident cardiovasculaire majeur.

Mais quoi qu'il en soit, et peu importe les mécanismes en cause, cette étude met surtout en évidence, comme l'expliquent ses auteurs, que «les lignes directrices actuelles, qui recommandent un maximum de 1,5 à 2,4 grammes de sodium par jour, reposent principalement sur des essais cliniques à court terme montrant que réduire la consommation de sodium de modérée à faible amène une modeste réduction de la pression sanguine. Les bénéfices projetés d'une faible consommation de sodium sur la santé cardiovasculaire sont déduits de modèles qui présument d'une relation linéaire entre l'ingestion de sodium et la pression sanguine, et entre la pression et les accidents cardiovasculaires. Ces lignes directrices partent donc implicitement de l'idée qu'il n'y aurait pas de plancher sous lequel la consommation de sodium devient insuffisante et nocive. Pourtant, on sait que le sodium joue un rôle fondamental dans la physiologie humaine.»

Source : Le Soleil - 28 décembre 2014